Faut-il prendre le rire au sérieux ?

Le FIFCL et Solidaris avaient proposé une conférence sur le thème du rire, en compagnie de Michel Cymes, Steven Laureys et Bruno Humbeeck.

« Faut-il prendre le rire au sérieux ? » avait été le thème d’une conférence rencontre organisée par Solidaris dans le cadre du Festival International du Film de Comédie organisé à Liège. Pourquoi se pencher sur le sujet ? Tout simplement parce que le rire est bon pour le moral.

« Il est difficile d’affirmer que le rire puisse être, sur le plan physiologique, réellement « bon pour la santé ». Les endorphines qu’un éclat de rire génère peuvent tout au plus dynamiser l’organisme et, par l’état euphorique que ces hormones provoquent, favoriser l’installation du sentiment que l’on est en bonne santé », explique Bruno Humbeeck, psychopédagogue et directeur de recherche au sein du service des Sciences de la Famille à l’Université de Mons. « L’afflux hormonal n’exerce pas pour autant un effet direct sur l’état de santé. On peut ainsi affirmer que rire aide à soigner, mais ne guérit en aucun cas. Il est cependant incontestable que le rire se constitue comme un signe de bonne santé. Un être humain très malade qui se mettrait à rire « de bon cœur » tend ainsi à rassurer son entourage en manifestant, par un comportement évoquant la joie, un indice de vitalité. C’est ce que Kant désignait à travers le concept de « dynamogénèse du rire », et c’est ce mécanisme qui explique que l’on établit spontanément une corrélation entre le rire et la bonne santé », ajoute-t-il.

Ultra moderne solitude
Concrètement, le rire ne guérit aucun mal. « Il permet cependant de les affronter avec davantage de force en contournant une réalité parfois dure à accepter et en permettant de se confronter à la maladie avec plus de force psychologique. C’est en cela que le fait de disposer d’un solide sens de l’humour constitue un véritable argument de résilience. Le rire soigne, tout au moins, aide à se mettre en position de recevoir des soins et d’en rendre les effets plus efficaces. Il ne guérit pas par sa seule action ou influence. Si vous êtes malade, vous pourrez en rire tant que vous voudrez, cela ne fera rien contre la maladie, mais cela vous permettra sans doute, et c’est très important, de vous sentir plus fort pour l’affronter. Le rire permet à ce titre de se confronter à la réalité, pas de s’en débarrasser. C’est pour cela sans doute que Scutenaire, un surréaliste belge, prétendait que le rire permet toujours de se « tirer d’embarras » sans « se tirer d’affaire » », ajoute Bruno Humbeeck.

Par ailleurs, on a effectivement tendance à moins rire de nos jours (4 fois par jour en moyenne), même s’il est difficile de prouver une telle allégation. Certaines recherches, plus ou moins sérieuses, tendent cependant à confirmer ce constat. Mais elles affirment toutes que cette tendance est essentiellement liée à cette « ultra-moderne solitude » dont nous parle si bien la chanson éponyme. On rit moins dans les sociétés où les rencontres sont moins fréquentes. Le sentiment d’urgence et la « pression à l’action », plus forte, y freinent en outre chez un grand nombre de personnes la propension à prendre le temps d’une rencontre et d’un échange réel. « Le rire véritable est en effet essentiellement un puissant indicateur de rencontre bienveillante. C’est pour cela que ce n’est pas à la quantité de rire qu’il importe de prêter attention lorsque l’on veut rendre compte d’une évolution sociétale, mais à la qualité de ce rire. À cet égard, une société qui, comme celle qui nous est contemporaine, tend à privilégier le rire de moquerie (ce que les anciens Grecs appelaient le katagelan) au détriment du rire convivial (que les mêmes anciens Grecs désignaient par le mot « gelan »), doit davantage inviter à se poser des questions, selon moi, qu’une société qui rirait avec moins de fréquence », conclut Bruno Humbeeck.

Solutions faciles
Les effets du rire sur la santé semblent en tout cas méconnus du grand public, voire des professionnels. « Je suis heureux de participer à cet événement et de voir le rire dans un sens plus large », ajoute encore le Professeur Steven Laureys, directeur de recherche au FNRS, responsable du Coma Science Group au CHU de Liège et directeur du centre GIGA Consciousness à l’Université de Liège. « Il y a des études scientifiques qui montrent l’importance du rire sur notre fonctionnement cognitif. Il y a eu, par exemple, des études sur la perte d’un proche, l’hypnose ou la méditation qui sont trop peu utilisées. De nombreuses personnes ont des problèmes de sommeil, d’anxiété ou encore de maux de tête. Elles veulent des solutions faciles comme les médicaments. Or, il faut souligner qu’il y a des choses à faire, mais cela demande un effort. Il faut essayer de mieux vivre, d’avoir une hygiène correcte, de faire du sport et d’avoir une philosophie positive. Cela illustre aussi qu’on n’a plus assez de temps pour le rire dans nos sociétés », ajoute Steven Laureys, convaincu que le rire peut être un outil thérapeutique et qu’il y a encore des choses à faire en la matière.